Reza : « L’âge d’or du photojournalisme ne fait que commencer »
Après les interviews de Eric Bouvet, Ulrich Lebeuf (Myop), Lionel Charrier (Libération), Wilfrid Estève (Hans Lucas), Balint Porneczi’s, Seb Montaz et Thomas Goisque, j’ai le plaisir de partager avec vous ma rencontre avec un autre grand nom de la photographie, à travers un entretien très riche en enseignements pour vous puisqu’il s’agit du grand photographe Reza. Ce photo-reporter iranien mondialement connu et reconnu nous parle de son travail sur et avec les réfugiés, à l’heure ou l’emballement médiatique se fait de plus en plus puissant sur cette thématique.
« Destination-Reportage » : Votre dernière exposition « rêve d’humanité » est parfaitement en phase avec l’actualité, alors que l’on parle beaucoup de la situation des migrants dans les médias. Sauf que dans votre cas, c’est un projet qui ne date pas d’hier. Pourquoi vous êtes vous lancé dans cette aventure au départ ?
Reza : En réalité je travaille sur le problème des réfugiés et la formation des réfugiés depuis 1983. Le premier cours commencé en mai 83 était dans les camps de réfugiés en Afghanistan, et depuis je n’ai pas cessé de faire de la formation dans les zones de guerre, les camps de réfugiés ou encore dans les banlieues « dures » de l’Europe. Parce que je pense que l’histoire qui est racontée par ceux qui la vivent, permet de montrer un autre angle de vue. C’est complémentaire avec le travail des professionnels.
Comment cela a commencé pour vous ?
En 1983, j’avais trois semaines de commande pour Time Magazine en Afghanistan. Sauf qu’en trois semaines, c’est difficile de faire beaucoup de choses, encore plus de se déplacer partout. Je me suis donc dis que personne ne saura ce qu’il se passe vraiment en Afghanistan, sauf si les afghans eux-mêmes avaient la possibilité de photographier ou filmer. C’est comme ça que c’est parti.
Vous êtes un photographe militant depuis longtemps et cela vous a valu d’être emprisonné et torturé pour vos prises de position en Iran, est ce que tous les photographes de presse devraient être militants selon vous ? Pourquoi ?
Je ne sais pas à quel point on peut lier les mots « militant » ou « activiste » au photojournalisme, mais pour moi une personne qui prend un appareil photo et qui a une idée journalistique, qui veut montrer ce qu’il se passe autour de lui, fait un acte politique, il est militant. Je ne parle pas de photographes de mode, mais ceux qui font du news. C’est un acte militant quelque part.
La menace contre les journalistes et les photographes n’est pas seulement présente dans les pays où règne la dictature, ici en France si vous faites des photographies qui ne plaisent pas à certains groupes politiques, ce qu’il se passe c’est que vous n’êtes pas mis en prison, mais vous êtes évincés, vous n’avez plus de travail, on vous met de côté. C’est comme mettre en prison, voire pire, parce que l’on vous tue à petit feu.
La photographie est un acte qui est constamment mis à l’épreuve, constamment attaqué par ceux qui n’aiment pas ce que l’on dénonce… aussi en « démocratie ».
La photographie permet-elle selon vous de changer vraiment les choses ? Comment ?
La photographie en soi ne change rien, mais elle peut changer l’attitude des êtres humains, la pensée des gens sur certains sujets, que ce soit par l’émotion qu’elle créé ou par la réflexion qui intervient après l’émotion. A partir du moment où la photographie est comme une écriture, elle change la pensée des hommes, et ce sont ces hommes qui vont changer le monde.
Pensez vous que les français sont suffisamment éduqués et sensibilisés aux problèmes des réfugiés ?
Bonne question. Non, je ne crois pas, et c’est une raison pour laquelle je continue mes expositions et aussi pour laquelle je me suis lancé dans un long travail sur les réfugié, pour expliquer ce problème. On saut que Nicolas Sarkozy a mené une politique anti-refugié, anti-migrant, plus dure que les présidents précédents. Or, lui même est issu d’une deuxième génération de réfugiés ou migrants. La même chose avec Valls, qui est fils de réfugié et il mène une politique assez dure contre les réfugiés. C’est incompréhensible.
Moi je suis exilé depuis 1981 et à peine 2 ans après j’ai commencé cette formation des réfugiés. Il faut faire un vrai travail constant de sensibilisation aux français et au monde entier aux souffrances et problèmes des autres. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que ce n’est pas en fermant les portes que l’on règlera les problèmes.
Workshop Reza à Toulouse le 22 Avril 2013 © Fabien Ferrer
Vous exposez votre travail dans des livres mais aussi beaucoup sur les murs de grandes villes, pourquoi ce choix ?
Je suis architecte et urbaniste de formation, je connais l’importance des lieux publics, des murs des grandes villes. D’ailleurs l’une des raisons pour laquelle les publicitaires utilisent ces murs, c’est parce qu’ils savent que cela à une influence sur les gens. Et moi je reprends ça, mais à la place d’exposer de la publicité, je montre des photographies du monde parce que c’est un moyen important de se connecter aux gens.
D’autant plus que la véritable place de la photographie pour moi ce n’est pas dans des musées ou des galeries, mais sur le passage des gens, dans les endroits fréquentés.
Je fais des expositions dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les prisons, beaucoup aussi dans le multimédia, dans les films documentaires. Plus il y a de moyens de diffusion, mieux c’est.
De tous les événements de l’Histoire que vous avez photographié, lequel vous a le plus marqué ? Pourquoi ?
Chaque photographie et chaque événement que j’ai photographié, ont les mêmes valeurs pour moi que le reste. Je ne fais pas de distinction entre des grands ou petits sujets. Tout est pareil pour moi, je mets la même énergie à travailler sur l’un ou l’autre. Certes j’ai vu dans ces 35 dernière années beaucoup de choses, mais ce qui était le plus important pour moi c’était de voir combien la volonté des êtres humains, individuelle ou collective, peut devenir quelque chose d’important et casser les barrière, les obstacles les plus grands.
L’un des exemple qui me revient, c’est le rôle que Massoud et les afghans ont joué dans l’Histoire.
Ce peuple pauvre, l’un des plus pauvres et traditionnels du monde, très peu nombreux dans les années 80, a été envahi par l’armée la plus grande et brutale de l’époque, celle de la Russie. Mais au final, la volonté de quelques hommes et le rôle que Massoud a joué ont complètement fait tout basculer et en presque 10 ans, ils ont mis à genoux la plus grande armée du monde, ce qui a permis de réveiller les autres pays de l’Union soviétique, en brisant la peur qu’ils avaient de cette armée. Puis le mur de Berlin est tombé juste après…
On dit depuis des années que le photojournalisme est en crise, pire que c’est une profession qui disparaitra. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Cela fait 30 ans que j’entends cette absurdité. Et au contraire, je pense que l’on rentre dans une nouvelle phase de ce métier, l’âge d’or du photojournalisme ne fait que commencer. Avant l’âge de l’informatique, on avait quelques magazines, quelques journaux, mais leurs pages étaient limités. Aujourd’hui nous avons des millions et des millions de pages à remplir, donc ce qui est évident c’est que ceux qui font le travail de qualité, continueront forcément de travailler.
La crise pour moi, c’est pas celle du photojournalisme, c’est celle des médias papier, parce qu’on voit de plus en plus de média naître sur l’écran.
Ils auront besoin d’une autre forme de photojournalisme. On est dans un monde de transition. Cette profession ne disparaître jamais si l’on comprend ce que c’est. Pour moi c’est mettre en image le quotidien de l’humanité, du monde. Il ya 43 000 ans, il y avait dans les grottes, des hommes et des femmes qui racontaient leur vie avec de la peinture. Cela ne s’est jamais arrêté.
En plus d’être photographe, vous êtes aussi un très grand voyageur. En quoi le voyage influence votre recherche photographique ?
Je voyage pour rencontrer des gens, leur histoire, ce qu’ils vivent, et créer un lien entre eux et l’autre partie du monde. Je vais dans les endroits et les régions où je peux mieux comprendre leurs histoires, où j’arrive à mieux raconter leurs histoires.
C’est pour cela que je forme les enfants réfugiés pour raconter le quotidien des camps de réfugiés, et quand on regarde leurs photos, la qualité de leur travail, on constate que les professionnels ne vont pas chercher ce genre de photo, c’est un autre angle de vue.
Mes voyages m’ont aussi permis de comprendre que finalement les frontières sont absurdes, que les êtres humains sont tous liés quoi qu’il arrive et que nous sommes une seule entité sur la Terre. J’ai voyagé dans 115 pays en 35 ans et j’ai compris que l’essence de l’humanité est unique et qu’elle est liée à la nature. Si une partie de l’humanité souffre, une autre ressent cette douleur, c’est comme dans un corps humain. Si l’on coupe des arbres et des plantes, on créé des tensions ailleurs sur la planète.
Workshop Reza à Toulouse en 2013 © Fabien Ferrer
Quels conseils donneriez vous aux lecteurs de ce blog, qui veulent progresser en photographie ?
Il est important de comprendre que la compréhension de l’autre, cela vient avant la photographie. Finalement, les photos d’un vieillard au visage marqué ou l’enfant qui sourit, ont déjà été faites des millions de fois et les Flickr et autres réseaux sociaux sont pleins de ce genre d’images.
Ce qui fait que le travail d’un photographe prend plus de valeur que celui d’un autre, c’est la compréhension de l’autre. Il faut que le sujet ou ce que vous voulez photographier, cela vous touche avant tout, que vous soyez vous-même émerveillé par ce que vous voyez.
Ce n’est pas juste en photographiant que cela arrive. C’est une immersion totale qui permet cela. Arriver dans un endroit, faire quelques photos et repartir c’était bien peut être au 19ème siècle.
Crédit photo de Une : Frédéric Scheiber