Wilfrid Estève : « FreeLens sensibilise aux nouvelles écritures photographiques »
A l’occasion du dernier Visa pour l’Image, LE festival international du photojournalisme de référence, j’ai eu le plaisir d’interviewer Wilfrid Estève. Ce professionnel de l’image possède un très impressionnant CV à rallonge, et notre échange a été tellement riche, que j’ai décidé de vous proposer non pas une, mais deux interviews de ce photographe, enseignant et producteur reconnu.
Dans ce premier « volet », j’ai interrogé Wilfrid sur son rôle de président de l’association reconnu d’utilité publique « FreeLens » et sa vision du photojournalisme.
Dans la deuxième partie, on parlera de la boîte de production qu’il a co-fondé et qui est rapidement devenue une référence dans l’univers de la photo de presse, à savoir la structure Hans Lucas. Ce deuxième épisode sera publié sur le blog dans les prochains jours. Afin d’être averti de sa sortie directement par mail, inscrivez vous à la newsletter du blog sur ce lien !
« Destination Reportage » : Bonjour Wilfrid, est ce que tu peux nous dire ce qu’est Freelens ?
Son histoire est atypique. Elle est liée avec celle de l’ANJRC (Association Nationale des Journalistes Reporters et Cinéastes), organisation professionnelle qui rassemblait depuis 1962, photojournalistes et documentaristes.
FreeLens était un mouvement spontané des jeunes photographes mobilisés pour faire face à la multiplication de contrats illicites proposés à la profession par certains groupes de presse. Après avoir rédigé un « Manifeste » fondateur et organisé un débat au festival Visa pour l’Image, ce mouvement s’est transformé en association (présidée par Lorenzo Virgili, son initiateur) durant l’automne 2000. Photographe signataire du manifeste, j’ai rejoint ainsi l’aventure et suis devenu administrateur de FreeLens.
En 2003, l’ANJRPC et FreeLens ont fusionné pour mieux représenter les intérêts des photojournalistes. C’est aussi dans le même esprit d’ailleurs qu’en 2009, nous avons cofondé l’UPP avec l’UPC. L’idée était d’avoir une seule organisation professionnelle en France.
Les administrateurs de FreeLens ont pris la décision de ne pas dissoudre l’association mais de la réorienter vers une structure toujours centrée sur la photographie mais ouverte à un ensemble de publics. Aujourd’hui, nous rassemblons des iconographes, des professionnels confirmés ou émergeants, des amateurs, des critiques, des enseignants, des étudiants, d’où la reconnaissance d’utilité publique en 2009.
Tu es, depuis 2004, président de FreeLens, quelles sont les missions de cette association ?
La mission de FreeLens est multiple, je tiens d’ailleurs à saluer le travail de ses administrateurs qui est remarquable. Nous cherchons à créer des espaces d’échange et de réflexion entre des publics différents, nous œuvrons en France et à l’étranger pour le rayonnement de la photographie ainsi que celui de ses représentations multimédia. Nous agissons comme un laboratoire à idées, d’accompagnement, de valorisation et de transmission des patrimoines et des connaissances.
Nous essayons de concilier aussi les intérêts des différentes communautés, sur l’identité numérique par exemple, aussi liée à l’image, ou en expliquant aux professionnels ce qu’il en est de l’apport des amateurs dans la photographie et aux photographes amateurs de dire « attention » à certaines pratiques (plateformes communautaires par exemple) dont les conditions d’utilisation sont parfois ambiguës.
La parenthèse FreeLens à la Gaîté Lyrique en 2014 – photographie de Cécile Dégremont
Justement, on parle souvent de conflit entre les « pros » et les amateurs, qu’en penses tu ?
Franchement j’ai dû mal à comprendre ce débat, il ne correspond pas non plus à la réalité. La photographie amateur a toujours existé. Chaque photographe avant d’être professionnel a été amateur et la photo amateur à complètement sa place l’histoire de la photographie. Au regard du nombre de workshops, d’ateliers ou de masterclass, qui se multiplient depuis des années et du retour que j’en ai, la communauté des amateurs a un grand respect pour le travail des professionnels et les deux communautés coexistent de manière sereine.
Au niveau des pratiques, un professionnel est souvent là pour raconter une histoire, amener une narration, tout en respectant un code de déontologie. De son côté, présent quasiment partout, l’amateur et son appareil photo sont de fait, des témoins précieux. De l’assassinat de Kennedy au Tsunami de 2004, en passant par le crash du Concorde… L’amateur est au coeur de l’évènement et avec la banalisation des appareils à photographier (mobiles etc), il fait la photo. Le professionnel vient dans un temps deux, il fait attention au respect des sources et amène du sens à l’histoire.
Dans sa pratique, l’amateur n’a jamais souhaité prendre la place du professionnel.
Il est important de rappeler que beaucoup de problèmes sont apparus avec l’exploitation des photographies des amateurs, souvent à leurs détriments. Nous pouvons parler des concours lancés régulièrement par les médias, des évènements culturels ou des institutions comprenant une cession de droits vertigineuses et aucune rémunération. Si du côté des organisateurs de concours, les avantages sont nombreux dans ce type d’opération, l’amateur lui n’a pas forcément conscience du tort que cela cause aux professionnels.
Un autre problème est la diffusion des photographies d’amateurs dans les médias, notamment via des structures comme « Citizen Side »… Cette structure fait des ravages au sein de l’offre des professionnels de l’information. J’ose espérer que dans les rédactions, les détenteurs de carte de presse, sont conscients que c’est non seulement apparenté à du travail dissimulé mais aussi à de la pratique déloyale. C’est d’autant plus regrettable qu’elle est diffusé par l’AFP et que les journaux qui reprennent ces photographies possèdent des numéros de commission paritaire.
La CCIJP (Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels) devrait demander un minimum de respect de la Charte d’éthique professionnelle et du code de déontologie. Il en est de même du respect du dispositif général des aides publiques à la presse délivrées par l’Etat. Il est temps que ces abus soient pénalisés.
C’est d’ailleurs le même problème avec les correspondants de presse…
Effectivement alors que travail réalisé soit globalement le même, le correspondant de presse n’est ni un journaliste, ni un journaliste pigiste. Leur activité est classée dans les activités professionnelles dites libérales et non réglementées. Leur statut n’est pas reconnu par la CCIJP alors qu’ils alimentent les colonnes de la presse quotidienne régionale et même nationale. Dans les faits le lien qu’entretient le correspondant local de presse avec sa rédaction est aussi un lien de subordination, à ce titre il devrait avoir une carte de presse et voir son statut évoluer.
Est ce que c’est la mission de Freelens que de chercher à résoudre ce problème ?
Cette problématique n’intervient pas le champs d’action d’une association reconnue d’utilité publique, je m’exprime à titre individuel en tant qu’ancien président de l’ANJRPC-FreeLens et vice-président de l’UPP. Cette question est du ressort de l’UPP.
J’ai dû mal à comprendre pourquoi depuis 2008, l’Association interdépartementale des CLP n’est pas présente auprès des pouvoirs publics et dans les organisations nationales.
Quelles sont les actions concrètes de l’association RUP Freelens ?
Depuis 2009, nous réalisons une très importante réflexion et sensibilisation sur les nouvelles écritures, c’est à dire les nouvelles représentations de la photographie, tant au niveau des professionnels, que des médias, que du grand public, sur la présence de la photographie sur le web, que ce soit la vidéographie, la Petite Oeuvre Multimédia, le diaporama sonore, le webdocumentaire… C’est un vrai think tank, nous avons notamment créé deux prix.
Le prix POM est devenu le prix « nouvelles écritures » avec un appel à candidature international car il est réalisé en partenariat avec le Zoom Photo festival canadien. C’est important d’être présent sur le marché des nouvelles écritures, avec l’essor de la vidéo sur le web, il faut accompagner l’ensemble des photographes dans ses nouvelles pratiques.
Pour ce qui est de la photographie, nous sommes sur l’aide ou le soutien aux étudiants, aux photographes émergents ou reconnus. L’idée est de préciser les bonnes pratiques, la création du prix Mentor en 2014 est un bon exemple.
Par ailleurs, nous sommes présents dans à peu près tous les festivals français et faisons partie des commissions du ministère de la Culture.
Session coup de coeur du Prix Mentor à la Scam en 2014, photographie d’Etienne Maury.
En quoi consiste le Prix Mentor ?
L’idée est de faire prendre conscience au photographe, au niveau de sa pratique, à savoir se présenter, et présenter les sujets sur lesquels il travaille. Sur un premier tour de table, il va amener une série photo et va devoir en parler pendant 10 min. 5min sur la série, 5 autre sur sa pratique photographique, comment il fonctionne au niveau du marché. Il y a un coup de cœur public et pro.
Puis dans un second temps, il y a entre 8 et 10 sujets proposés à un jury pro et un seul sera retenu pour être réalisé pendant l’année qui arrive.
A la clé, il y a un accompagnement d’un an du lauréat, par des experts de la SCAM et de FreeLens, il y a aussi 5.000 euros, et une formation au CFPJ d’environ 5.000 euros également.
Que penses-tu du fait qu’il y a de plus en plus de photos sur le web ?
Nous sommes dans une société de l’image. László Moholy-Nagy a dit en 1931 « L’analphabète de demain ne sera pas celui qui ignore l’écriture, mais celui qui ignore la photographie », quel visionnaire!
Qu’il y ait beaucoup de photographies sur le web, dans les médias ou dans notre société est une réalité contre laquelle il est difficile de lutter.
Session coup de coeur du Prix Mentor à la Scam en 2014, photographie d’Etienne Maury.
En 2009 est arrivé le statut d’auto-entrepreneur aussi pour les photographes…
Avec le statut de pigiste salarié puis le régime des Agessa qui lui est complémentaire, franchement, pourquoi avoir créer un statut supplémentaire ? D’autant que les entreprises de presse et les médias n’ont pas le droit de faire travailler des auto-entrepreneurs.
Il est aussi bon de rappeler qu’en cas d’octroi d’aides de la part du CNC pour un webdocumentaire, le statut d’auto-entrepreneur n’est pas reconnu.
Concernant le livre que tu as co-écrit en 2005 sur l’avenir du photojournalisme, qu’est ce que tu en penses avec du recul ?
En 2005, j’avais 11 ans de pratique photo et je travaillais beaucoup, pour un total de 25 rédactions à l’année. A cette époque je ne comprenais pas pourquoi toutes les initiatives qui évoluaient, au niveau du web ne touchaient pas la photographie (création des pure players, montée en force des sites d’informations généralistes sur le web…).
Au niveau du photojournalisme, je voyais un marché en récession, avec un état d’esprit qui n’était pas franchement des plus optimistes.
“Photojournalisme à la croisée des chemins” était à mes yeux un état des lieux de 10 années de métier. Je sentais que d’autres voies apparaissaient. Il a été une transition nécessaire pour évoluer et m’a permis de passer à autre chose.
Qu’est ce que tu as envie de dire aux gens qui disent que le photojournalisme est mort ?
Qu’il n’a jamais été autant exposé dans le sens général du terme, c’est à dire, publié dans les médias, représenté dans les musées, les collections, les galeries, dans l’édition, sur le web, dans la vidéo, les webdocumentaires … Et à Visa, avec chaque année un nombre visiteurs en augmentation !
Au delà de Visa, il est aujourd’hui dans beaucoup de festivals et à même réussi, sous une forme plus documentaire, à intégrer les Rencontres d’Arles.
Avant il n’était que ici (à Visa), maintenant il est partout. Son modèle économique est viable, mais il faut réfléchir, anticiper, être organisé et prévoyant. Les photojournalistes doivent être formés, ils doivent planifier leur année.
Autre chose, jusque dans les années 90 c’était un gros mot de dire que l’on faisait du corporate, de la publicité, que l’on travaillait en collaboration avec des ONG sur des projets éditorialisés ou que l’on faisait de la communication.
Paradoxalement les photojournalistes ne se posaient pas trop de questions sur qui dirigeait la presse en France et travaillaient pour des groupes détenus, soit par un marchand d’armes, des industriels ou encore des politiques.
Le Visa d’Or News de cette année a été décerné au photographe de l’ AFP News Agency Bülent Kiliç
Quand on regarde ce qu’il y a Visa, c’est soit la guerre, la misère, soit du sujet National Geo, quel est ton point de vue sur ça ?
Evidement le photojournalisme témoigne, souvent de zones de tension et de situations dramatiques. Mais pas que, il y a des choses positives aussi. La position de Jean-François Leroy est compliqué car il doit aussi composer autant avec l’offre des professionnels, de ses partenaires que les attentes du grand public. Compliqué de faire une programmation pour tous.
Même si je trouve que cela mériterait d’un peu plus de subtilité, ce sont ses choix et il les assume en tant que directeur du festival.
Est ce que cela ne pousse pas les jeunes photographes à « partir à la guerre » ?
Aujourd’hui, partir sur une zone de tension, cela ne coûte pas cher. Le problème c’est que lorsqu’ils sont sur place, les jeunes photographes se rendent compte que c’est un peu plus compliqué que ce qu’ils avaient imaginés… La question de l’assurance est essentielle, tout comme des relations sur place, cela coûte très cher de partir à la « guerre ».
Les rédactions réfléchissent à deux fois avant d’envoyer quelqu’un et de mémoire, Jean-François Leroy n’accepte plus de série produite sans commande de la presse. Les journalistes sont des cibles faciles et un moyen efficace pour mettre la pression sur un Etat.
… La suite dans le prochain épisode 😉
[…] Dans le premier « volet », j’avais interrogé Wilfrid sur son rôle de président de l’association reconnu d’…. […]
[…] Ce sujet va bientôt être publié dans un magazine américain, mais le jeune français compte bien le présenter à la presse française, tout comme il en a déjà parlé lors du prix « Mentor » (lire l’article sur l’association « FreeLens » à ce sujet). […]
Finalement, de l’argentique au numérique, à l’I phone, peu importe l’appareil que l’on a dans la main. Être photographe est une façon de regarder et de choisir un endroit spécifique pour attendre l’instant précis où notre existence a sa raison d’être: et il faut la preuve photo. Mais avec le temps, vivre devient suffisant http://photos-non-retouchees.over-blog.com/c-etait-au-temps-de-l-argentique-et-de-sygma.html
Et la retraite un enchantement car le spectacle est permanent: toujours bien placé pour continuer à tout voir .