Lionel Charrier (Libération) : "Il faut défendre la photographie et se battre tous les jours pour elle" - Destination Reportage

Lionel Charrier (Libération) : « Il faut défendre la photographie et se battre tous les jours pour elle »

Rédacteur en chef photo du journal Libération et fondateur et ex-directeur de l’agence photo « Myop« , Lionel Charrier est également le président du jury du festival MAP 2015, donc nous vous parlerons sur le blog cette semaine. Nous avons eu le plaisir de l’interroger sur son métier et sa vision de la photographie.

Destination Reportage : Vous allez être président du jury 2015 de MAP en septembre prochain, pourquoi avoir accepté cette mission ?

Lionel Charrier : Je suis très ouvert aux festivals photo, car cela permet d’approcher un public plus large qu’avec des publications spécialisées, à travers des projections, des rencontres, etc. Les lieux dédiés à la photographie sont plus conçus pour un public averti. Le festival est complémentaire, les buts ne sont pas les mêmes. D’ailleurs, il y a une dimension festive très importante et intéressante.

Que pensez vous de ce festival ?

J’y connais surtout Ulrich Lebeuf qui est chez « Myop », une agence que j’ai créé il y a 10 ans, même si je suis maintenant à « Libé ». J’ai trouvé son initiative intéressante, j’ai voulu le soutenir. MAP est défini comme festival amateur au départ, mais il y a de « vraies » expos, d’une qualité professionnelle, et surtout avec une volonté d’intéresser les amateurs.

Cocktail remise des Prix photo 2014 from Festival MAP Toulouse on Vimeo.

Justement, en tant que professionnel de la photographie, n’est ce pas dangereux pour l’avenir du photojournalisme que d’encourager la photographie amateur ?

Non, on ne doit pas avoir peur des amateurs, c’est un grand poncif qui revient souvent : la peur des images au smartphone ou volées. Au contraire, cela fait évoluer la profession, il faut s’adapter, cela fait changer les modes de travail, les pratiques. Certes il y a des champs qui sont bouleversés, mais on ne peut pas aller contre cela, d’ailleurs ce serait contre productif !

A Libération, on défend une vrai pratique d’écriture profesionnelle, mais cela n’empêche pas de soutenir les amateurs a travers des concours (comme récemment avec Wipplay). Tout ce qui encourage la pratique photo est une bonne chose. D’ailleurs, les frontières sont plutôt poreuses, on peut commencer comme amateur et finir comme professionnel. Moi même il y a très longtemps, j’ai commencé par lire des magazines sur la photo amateur comme « Réponses Photo« .

Vous êtes passé par l’agence « Magnum » avant de créer « Myop ». Est ce que le but était de reproduire le concept ? 

L’idée était plutôt de perpétuer une culture française des regroupement des photographes, comme « Tendance flou » ou le « Bar Floréal« , toujours dans le but d’être une structure qui diffuse des images mais avec les soucis importants du contrôle des images. Avec les agences de presse, il y a le problème des images qui partent un peu partout dans le monde, sans contrôle. être une petite structure c’est important, l’idée était de créer un outil au service des photographes.

Libération Ulrich Lebeuf Libération Ulrich Lebeuf

Un exemple de « carte blanche » au photographe Ulrich Lebeuf

Quelle est la place de la photo à Libé ?

Même si je suis directeur photo depuis 2015, je travaille pour Libé depuis plus de 10 ans, il y a toujours eu cette culture de la photographie, notamment avec le passage de Christian Caujolle qui a marqué les esprits avant de créer l’agence VU. L’histoire entre le journal et la photo est très longue et très étroite. J’ai envie de réaffirmer cette appartenance en encourageant encore plus l’écriture narative, et l’exporter à l’extérieur en créant des événements comme des expositions, des installations vidéo, comme nous l’avons fait dernièrement à Arles autour de Charlie, et comme nous allons le faire à travers l’expo portrait à MAP. Une autre exposition est prévue à la fin de l’année.

Extrait de l’exposition MAP « Der De libération » – Portrait de Léa Sédoux par Jérome Bonnet

Il faut défendre la photographie et se battre tous les jours pour elle. Mais l’ensemble du journal a cette culture de l’image et a l’habitude de bosser avec des photographes donc c’est plus simple. Il existe des relations très étroites entre maquettistes, rédacteurs et photographes. Tandis que pour beaucoup de journaux c’est compliqué parce qu’il y’a moins cette culture et une maquette une peu figée.

Comme vous l’avez fait avec le « Libé des photographes » en juillet dernier ?

En effet il s’agissait d’un numéro un peu exceptionnel et particulièrement dédié à la photo, mais tous les jours les reportages photos sont mis en avants. Libé produit beaucoup de photos, et on suscite des commandes, c’est l’une de nos forces. Nous savons qu’ill y a un public d’amateurs de photographies, qui achète le journal aussi pour son écriture photographique, donc pour l’instant on ne l’abandonne pas. Notre rôle c’est de montrer que c’est la bonne voie à suivre.

Est ce que la photo de reportage a encore sa place à l’heure du numérique, du digital et des captures d’écran YouTube pour illustrer des sujets ?

Elle a une place primordiale ! Ce qui est important sous ce terme de « photo de reportage », c’est l’angle, l’approche photojournalistique. L’éthique du photojournaliste et la véracité de l’information sont très importantes. Ici on favorise le point de vue sur le sujet. Même nous, ça nous arrive d’utiliser une image purement informative, ce n’est pas antinomique, cela peut se combiner, d’où cette importance de la part des photographes d’affirmer des points de vue, pour se différencier d’une pratique plus amateur.

La seule vraie différence, c’est que le pro doit vivre de cette pratique. Il ne faut pas avoir peur des amateurs, plus les gens auront peur, moins ça ira bien. C’est un mouvement qu’on ne peut pas arrêter, donc autant l’utiliser à bon escient. D’ailleurs, l’usage du smartphone permet de réaliser des photographies différentes, que l’on ne pourrait pas faire avec un appareil photo « classique ».

Destination Reportage est un blog qui a aussi vocation à parler aux photographes amateurs, quels conseils donneriez vous aux lecteurs qui veulent progresser en photographie ?

Le plus important c’est l’Histoire, la culture. L’oeil à besoin de se nourrir, c’est comme ça qu’on progresse, après il y a la pratique, mais c’est important de voir ce qu’il s’est déjà fait, voir ce qu’on fait les autres photographes, se nourrir de photos anciennes, historiques, contemporaines, pour avoir des réflex et des repères une fois sur place.

Crédit photo de Une : Ulrich Lebeuf



photographe professionnel
Fred
Photoreporter professionnel pour la presse magazine (Paris Match, VSD, le Figaro Magazine, le Pèlerin, Géo Ado, Stern, etc...)
2 commentaires
  • Août 19,2015 at 11 h 46 min

    Merci Lionel pour cette touche; ça me fait plaisir de lire ce que je dis à ceux que je vois prés de moi avec un appareil photo numérique ou I phone. Faites des photos, c’est gratuit mais surtout prenez le temps de les trier: ne gardez que les bonnes, jeter toutes les autres http://photos-non-retouchees.over-blog.com/c-etait-au-temps-de-l-argentique-et-de-sygma.html
    Nous avons connu une autre époque ou il fallait acheter la pellicule, faire les tirages papier. Fallait vendre nos photos pour pouvoir continuer d’en faire. Il y avait les grands photographes reporter d’agence et les besogneux du photojournalisme des QRP mais notre métier nous faisait vivre intensément la quête d’un « frago » comme disait James Andanson. Cette époque est révolue même si Alain N. continue, héroïque.
    Faut arrêter de mettre certains aux pinacles du photojournalisme, ceux qui ont le sujet A l’œil et au tiroir caisse. La photo est un art et chacun peut le pratiquer à sa manière beaucoup plus facilement qu’avant. Faut encourager cela, comme pour la peinture ou la musique. Autrefois, seul « les fils à papa » pouvaient acheter un Leica avec un 300m/m. Je me souviens de Sebastien S. ,rue Auguste Vacquerie à Gamma qui ne se souciait pas de vendre ses photos, il avait choisi son champ artistique et n’avait pas besoin d’argent .
    L’important je crois aujourd’hui est de s’intéresser à cet art photographique et de le pratiquer, ainsi la porte s’ouvre pour accéder à la grande salle de l’ Art, tous les arts . Vive la photo

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