Pendant plusieurs mois, le photojournaliste toulousain Frédéric Scheiber a réalisé un travail complet sur la ZAD de Sivens, dans le Sud-Ouest de la France, avec la particularité de travailler en N&B et au smartphone. Vendredi 9 octobre prochain, une projection du web documentaire qu’il a réalisé avec Marine Vlahovic, aura lieu à Toulouse.
Une série de portrait à l’IPhone
Le portrait n’est pas l’aspect le plus simple de la photographie, encore moins avec un téléphone et une application comme Hipstamatic qui ne laisse pas le droit au recadrage. Mais pour ce photographe toulousain talentueux, c’est un art qui est largement maîtrisé, car fort de ces 15 ans de photojournalisme, Frédéric Scheiber a déjà eu l’occasion de « shooter » des milliers de personnes et personnalités.
Et comme il l’explique, le téléphone possède des avantages pour la pratique du portrait car « il y a un contact regard-regard, alors qu’avec un reflex, on ne voit plus la personne, ça fait grosse mitraillette ».
Un avantage de taille pour cette série sur les « zadistes », car ces révolutionnaires des temps modernes, qui se font appeler ici et là « Camille » en référence à 1789, ne sont pas toujours très sociables avec les journalistes, qu’ils considère fréquemment comme des intrus ou des ennemis.
« Malheureusement après le décès de Rémi Fraisse il a été très compliqué de travailler sur la ZAD et beaucoup de journalistes en ont fait l’expérience », ajoute Frédéric Scheiber. Voitures vandalisées, menaces de mort et même agressions, même si ce n’était pas du fait d’une majorité de zadistes, le simple fait de marcher équipé d’un appareil photo ou d’une caméra à Sivens, pouvait être dangereux.
Un angle journalistique inédit
Même si plusieurs rédactions ont titré sur « qui sont les zadistes ? », rares sont les reportages au long cours sur ce phénomène de société et surtout la personnalité de ces jeunes et moins jeunes, engagés dans ce bras de fer avec gouvernement et gendarmes mobiles.
Le travail de Frédéric Scheiber permet d’aller au-delà des coupures de presse très généralistes sur la question de la ZAD, car il a voulu dès le départ aller à la rencontre de ces zadistes, en passant du temps avec eux, en discutant et en les revoyant plusieurs fois, avant même parfois de les prendre en photo avec son smartphone.
Marine Vlahovic, une journaliste rédactrice, toulousaine et indépendant elle aussi, qui l’a accompagné plusieurs fois sur la ZAD a ajouté du son à ce vaste travail photographique, et a donné naissance à un incroyable web documentaire.
Le choix du noir et blanc
« Quand je suis arrivé sur la ZAD et que j’ai vu ce champ apocalyptique avec les cadavres d’arbres partout, le noir et blanc m’a semblé être une évidence », raconte Frédéric, « J’ai fait du 24×36 couleur « classique » pour la presse, parce qu’il le fallait, mais pour moi le sujet devait être traité différemment. En noir et blanc déjà, parce que j’aime ça, et avec l’IPhone parce que les fichiers étaient déjà directement visibles en N&B, et comme je n’aime pas trop retravailler ni recadrer mes images, c’était parfait ».
Comme le concède le journaliste, « faire de la photographie au téléphone peut sembler un peu extravaguant, ce n’est pas encore approuvé par certains directeurs de festivals ou de chefs de services photos, mais les téléphones ont la capacité de faire de très bons fichiers et c’est presque l’équivalent de mon petit Minox, qui permet d’être discret et proche de son sujet », et de conclure, « Je comprends qu’on peut le décrier, mais il faut aussi savoir voir les résultats. On peut faire de très bonnes photos avec son smartphone ».
Après les interviews de Eric Bouvet, Ulrich Lebeuf (Myop), Lionel Charrier (Libération), Wilfrid Estève (Hans Lucas), Balint Porneczi’s, Seb Montaz et Thomas Goisque, j’ai le plaisir de partager avec vous ma rencontre avec un autre grand nom de la photographie, à travers un entretien très riche en enseignements pour vous puisqu’il s’agit du grand photographe Reza. Ce photo-reporter iranien mondialement connu et reconnu nous parle de son travail sur et avec les réfugiés, à l’heure ou l’emballement médiatique se fait de plus en plus puissant sur cette thématique.
« Destination-Reportage » : Votre dernière exposition « rêve d’humanité » est parfaitement en phase avec l’actualité, alors que l’on parle beaucoup de la situation des migrants dans les médias. Sauf que dans votre cas, c’est un projet qui ne date pas d’hier. Pourquoi vous êtes vous lancé dans cette aventure au départ ?
Reza : En réalité je travaille sur le problème des réfugiés et la formation des réfugiés depuis 1983. Le premier cours commencé en mai 83 était dans les camps de réfugiés en Afghanistan, et depuis je n’ai pas cessé de faire de la formation dans les zones de guerre, les camps de réfugiés ou encore dans les banlieues « dures » de l’Europe. Parce que je pense que l’histoire qui est racontée par ceux qui la vivent, permet de montrer un autre angle de vue. C’est complémentaire avec le travail des professionnels.
Comment cela a commencé pour vous ?
En 1983, j’avais trois semaines de commande pour Time Magazine en Afghanistan. Sauf qu’en trois semaines, c’est difficile de faire beaucoup de choses, encore plus de se déplacer partout. Je me suis donc dis que personne ne saura ce qu’il se passe vraiment en Afghanistan, sauf si les afghans eux-mêmes avaient la possibilité de photographier ou filmer. C’est comme ça que c’est parti.
Vous êtes un photographe militant depuis longtemps et cela vous a valu d’être emprisonné et torturé pour vos prises de position en Iran, est ce que tous les photographes de presse devraient être militants selon vous ? Pourquoi ?
Je ne sais pas à quel point on peut lier les mots « militant » ou « activiste » au photojournalisme, mais pour moi une personne qui prend un appareil photo et qui a une idée journalistique, qui veut montrer ce qu’il se passe autour de lui, fait un acte politique, il est militant. Je ne parle pas de photographes de mode, mais ceux qui font du news. C’est un acte militant quelque part.
La menace contre les journalistes et les photographes n’est pas seulement présente dans les pays où règne la dictature, ici en France si vous faites des photographies qui ne plaisent pas à certains groupes politiques, ce qu’il se passe c’est que vous n’êtes pas mis en prison, mais vous êtes évincés, vous n’avez plus de travail, on vous met de côté. C’est comme mettre en prison, voire pire, parce que l’on vous tue à petit feu.
La photographie est un acte qui est constamment mis à l’épreuve, constamment attaqué par ceux qui n’aiment pas ce que l’on dénonce… aussi en « démocratie ».
La photographie permet-elle selon vous de changer vraiment les choses ? Comment ?
La photographie en soi ne change rien, mais elle peut changer l’attitude des êtres humains, la pensée des gens sur certains sujets, que ce soit par l’émotion qu’elle créé ou par la réflexion qui intervient après l’émotion. A partir du moment où la photographie est comme une écriture, elle change la pensée des hommes, et ce sont ces hommes qui vont changer le monde.
Pensez vous que les français sont suffisamment éduqués et sensibilisés aux problèmes des réfugiés ?
Bonne question. Non, je ne crois pas, et c’est une raison pour laquelle je continue mes expositions et aussi pour laquelle je me suis lancé dans un long travail sur les réfugié, pour expliquer ce problème. On saut que Nicolas Sarkozy a mené une politique anti-refugié, anti-migrant, plus dure que les présidents précédents. Or, lui même est issu d’une deuxième génération de réfugiés ou migrants. La même chose avec Valls, qui est fils de réfugié et il mène une politique assez dure contre les réfugiés. C’est incompréhensible.
Moi je suis exilé depuis 1981 et à peine 2 ans après j’ai commencé cette formation des réfugiés. Il faut faire un vrai travail constant de sensibilisation aux français et au monde entier aux souffrances et problèmes des autres. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que ce n’est pas en fermant les portes que l’on règlera les problèmes.
Vous exposez votre travail dans des livres mais aussi beaucoup sur les murs de grandes villes, pourquoi ce choix ?
Je suis architecte et urbaniste de formation, je connais l’importance des lieux publics, des murs des grandes villes. D’ailleurs l’une des raisons pour laquelle les publicitaires utilisent ces murs, c’est parce qu’ils savent que cela à une influence sur les gens. Et moi je reprends ça, mais à la place d’exposer de la publicité, je montre des photographies du monde parce que c’est un moyen important de se connecter aux gens.
D’autant plus que la véritable place de la photographie pour moi ce n’est pas dans des musées ou des galeries, mais sur le passage des gens, dans les endroits fréquentés.
Je fais des expositions dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les prisons, beaucoup aussi dans le multimédia, dans les films documentaires. Plus il y a de moyens de diffusion, mieux c’est.
De tous les événements de l’Histoire que vous avez photographié, lequel vous a le plus marqué ? Pourquoi ?
Chaque photographie et chaque événement que j’ai photographié, ont les mêmes valeurs pour moi que le reste. Je ne fais pas de distinction entre des grands ou petits sujets. Tout est pareil pour moi, je mets la même énergie à travailler sur l’un ou l’autre. Certes j’ai vu dans ces 35 dernière années beaucoup de choses, mais ce qui était le plus important pour moi c’était de voir combien la volonté des êtres humains, individuelle ou collective, peut devenir quelque chose d’important et casser les barrière, les obstacles les plus grands.
L’un des exemple qui me revient, c’est le rôle que Massoud et les afghans ont joué dans l’Histoire.
Ce peuple pauvre, l’un des plus pauvres et traditionnels du monde, très peu nombreux dans les années 80, a été envahi par l’armée la plus grande et brutale de l’époque, celle de la Russie. Mais au final, la volonté de quelques hommes et le rôle que Massoud a joué ont complètement fait tout basculer et en presque 10 ans, ils ont mis à genoux la plus grande armée du monde, ce qui a permis de réveiller les autres pays de l’Union soviétique, en brisant la peur qu’ils avaient de cette armée. Puis le mur de Berlin est tombé juste après…
On dit depuis des années que le photojournalisme est en crise, pire que c’est une profession qui disparaitra. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Cela fait 30 ans que j’entends cette absurdité. Et au contraire, je pense que l’on rentre dans une nouvelle phase de ce métier, l’âge d’or du photojournalisme ne fait que commencer. Avant l’âge de l’informatique, on avait quelques magazines, quelques journaux, mais leurs pages étaient limités. Aujourd’hui nous avons des millions et des millions de pages à remplir, donc ce qui est évident c’est que ceux qui font le travail de qualité, continueront forcément de travailler.
La crise pour moi, c’est pas celle du photojournalisme, c’est celle des médias papier, parce qu’on voit de plus en plus de média naître sur l’écran.
Ils auront besoin d’une autre forme de photojournalisme. On est dans un monde de transition. Cette profession ne disparaître jamais si l’on comprend ce que c’est. Pour moi c’est mettre en image le quotidien de l’humanité, du monde. Il ya 43 000 ans, il y avait dans les grottes, des hommes et des femmes qui racontaient leur vie avec de la peinture. Cela ne s’est jamais arrêté.
En plus d’être photographe, vous êtes aussi un très grand voyageur. En quoi le voyage influence votre recherche photographique ?
Je voyage pour rencontrer des gens, leur histoire, ce qu’ils vivent, et créer un lien entre eux et l’autre partie du monde. Je vais dans les endroits et les régions où je peux mieux comprendre leurs histoires, où j’arrive à mieux raconter leurs histoires.
C’est pour cela que je forme les enfants réfugiés pour raconter le quotidien des camps de réfugiés, et quand on regarde leurs photos, la qualité de leur travail, on constate que les professionnels ne vont pas chercher ce genre de photo, c’est un autre angle de vue.
Mes voyages m’ont aussi permis de comprendre que finalement les frontières sont absurdes, que les êtres humains sont tous liés quoi qu’il arrive et que nous sommes une seule entité sur la Terre. J’ai voyagé dans 115 pays en 35 ans et j’ai compris que l’essence de l’humanité est unique et qu’elle est liée à la nature. Si une partie de l’humanité souffre, une autre ressent cette douleur, c’est comme dans un corps humain. Si l’on coupe des arbres et des plantes, on créé des tensions ailleurs sur la planète.
Quels conseils donneriez vous aux lecteurs de ce blog, qui veulent progresser en photographie ?
Il est important de comprendre que la compréhension de l’autre, cela vient avant la photographie. Finalement, les photos d’un vieillard au visage marqué ou l’enfant qui sourit, ont déjà été faites des millions de fois et les Flickr et autres réseaux sociaux sont pleins de ce genre d’images.
Ce qui fait que le travail d’un photographe prend plus de valeur que celui d’un autre, c’est la compréhension de l’autre. Il faut que le sujet ou ce que vous voulez photographier, cela vous touche avant tout, que vous soyez vous-même émerveillé par ce que vous voyez.
Ce n’est pas juste en photographiant que cela arrive. C’est une immersion totale qui permet cela. Arriver dans un endroit, faire quelques photos et repartir c’était bien peut être au 19ème siècle.
« F/1.4 », vous connaissez ? Attention, je ne vous parle pas de l’ouverture d’un objectif, mais de la chaîne YouTube du génial Sébastien Roignant, photographe pro et également blogueur. Dernièrement, j’ai eu le plaisir de l’interviewer pour vous, fidèles lecteurs du blog !
Tout d’abord, est ce que tu peux te présenter pour les lecteurs du blog ?
Bonjour, je m’appelle Sébastien Roignant et vous êtes bien dans une interview « de » F/1.4 (et non pas « par » F/1.4 ^^). Je suis photographe depuis maintenant presque 10 ans et professionnel (prestation et auteur) depuis 6 ans. Je fais du portrait / mariage / mise en scène. Je suis aussi le créateur de la chaîne de formation « F/1.4 – A pleine ouverture ».
Comment et pourquoi est né « F/1.4 – A pleine ouverture » ?
F/1.4 est né sur le coup de tête d’une idée longuement réfléchie. Oui, en y réfléchissant, cette phrase peut être logique ! J’ai été très inspiré par Phlearn, la chaîne qu’a créé Aaron Nace aux USA. Je l’ai beaucoup regardée et cela m’a donné envie de créer mes premiers tutoriels. J’en ai fais 3 sur un an. Puis j’ai eu envie d’en refaire mais je savais que ça ne servirai à rien de continuer sur ce « rythme ». J’ai donc pris le pari complétement fou de faire une vidéo chaque semaine. Et cela fait 3 ans que je m’y tiens.
Pourquoi l’avoir créé ? Surement à cause de ma part d’utopie. Je rêve d’un monde où l’on serait tous excellents dans notre domaine, où on chercherait tous à perpétuellement s’améliorer et aller de l’avant. Oui je sais, c’est totalement irréalisable mais c’est bon de rêver ! J’ai donc lancé F/1.4 pour partager le savoir, le recul que j’ai acquis en quelques années et le redonner à qui pourrait en tirer profit. Je me disais que j’avais vécu, surement beaucoup d’autres photographes l’ont vécu. Et juste entendre quelqu’un d’autre le dire permet d’avancer plus vite ! J’aurai aimé avoir ce genre d’aide à mes débuts.
Ta chaîne YouTube est suivie par plus de 26 000 personnes et a presque atteint les 2 millions de vues, comment tu expliques ce succès ?
Je ne sais pas si on peut parler de succès mais c’est génial ! C’est toujours compliqué d’expliquer pourquoi quelque chose marche ou ne marche pas. surtout lorsqu’on est partie prenante de ce « quelque chose ». Je pense qu’il y a 3 ans, il n’existait pas de chaîne comme F/1.4, de chaine d’apprentissage photo qui n’était pas destinée uniquement aux débutants et qui ne se prenait pas au sérieux. J’ai fais mon possible pour continuer dans cette voie que je m’était fixé et surtout dans la régularité.
J’ai fais ma chaîne comme je suis dans la vie. C’est moi qui parle et moi qui choisis les thèmes, la façon de parler, l’humour (si on peut appeler ça de l’humour). Et je pense que c’est ce coté « humain » que le public aime. On est tous pareil de ce coté là. Nous sommes des humains qui pratiquons l’art de la photographie. On a tous le même dénominateur commun.
Il ne faut pas sous estimer le travail qu’il y a eu derrière. Le travail est la clé de toute réussite. Celui qui croit pouvoir réussir par magie ou par chance se plantera forcément !
Tu es avant tout photographe professionnel, quels sont des domaines de prédilection ?
Oui, c’est avant tout mon but premier : m’améliorer dans ma pratique photographique. Je crois bien que j’ai monté F/1.4 aussi pour me challenger à tout le temps apprendre de nouvelles choses et surtout les comprendre. J’ai un travail personnel et un travail professionnel. D’un coté je fais du portrait, de la mise en scène cinématographique, du landscape nude et de l’autre du mariage ou du corporate.
Le travail personnel est primordial pour tout photographe. Il faut savoir sans cesse se remettre en question, chercher de nouvelles voies d’expression, ne pas se complaire dans sa zone de confort. C’est comme ça que je continue à vouloir faire de la photographie, à garder ce plaisir qui me fait avancer à grands pas.
Mes domaines de prédilection changent avec le temps. En ce moment je suis toujours sur ma série « Soledad » qui me permet d’aller explorer des coins magnifiques de France mais je vais bientôt revenir à la mise en scène cinématographique car ça me manque beaucoup !
Sur ton site, tu proposes des workshops, en quoi cela consiste-t-il ?
Apprendre via des vidéos c’est un bon début mais rien ne remplace l’expérience réelle. Vous pourrez regarder toutes les vidéos, lire tous les livres qui existent, jamais vous ne saurez faire de photo. Vous aurez la théorie mais pas la pratique. Ce qui est le plus important. Alors j’ai lancé les cours en réel. Cela consiste en une ou deux journées de formation sur un thème précis. prenons par exemple le workshop « Portrait en lumière naturelle ».
Cela va plus loin que juste s’essayer au portrait en extérieur. Je parle de ma démarche photographique. J’explique à mes workshopeurs jusqu’où peut aller cette démarche, à quel point il faut s’y impliquer. C’est autant du développement personnel que de la pratique photographique. Les deux sont liés de toute façon.
On commence le vendredi soir par un apéro pour se présenter, commencer à aborder ce que l’on va faire le jour suivant. L’aspect convivial est très important pour moi. C’est comme mes épisodes, c’est du « fait maison » à la cool mais avec un contenu sérieux et réfléchit. On se retrouve le lendemain matin pour une session shooting. Il est très important de pratiquer pour comprendre cette démarche. C’est la partie coup de pied au cul.
L’après midi nous nous retrouvons autour des photos prises le matin pour apprendre à décrypter les bons clichés et trouver la perle rare. On finit ensuite par une explication de post production et la plupart du temps par un repas en commun qui se poursuit tard dans la nuit. Je vous parlais de l’aspect convivial !
Dans tes épisodes, tu donnes beaucoup de conseils aux photographes amateurs, j’imagine que tu as déjà dû t’attirer les foudres de certains pros qui luttent contre cette « nouvelle concurrence » ?
Je donne des conseils aux photographes amateurs mais aussi aux professionnels ! Je n’ai pas encore eu, à ma connaissance, de foudres de ceux que j’appellerais les « îles ». Beaucoup de photographes ont peur, se disent qu’il ne faut surtout pas partager sa connaissance car ils perdraient leur clientèle. C’est complétement faux, au contraire. Ils s’enferment eux mêmes dans une énergie follement négative et n’avanceront pas.
Si ça se trouve il y a en ce moment même un complot qui s’organise par des milliers de photographes professionnels pour me faire taire et je n’en sais absolument rien ! Mais j’en doute fortement. J’ai, au contraire, eu beaucoup de retours de personnes très contentes de ce partage et de cette ouverture.
Quelle est ta vision du métier de photographe (et que penses tu de ses évolutions) ?
Vaste question. Le métier de photographe est si multiple que je n’en connais vraiment qu’une partie. Il y a mille façon de pratiquer cette profession. On m’a dit un jour que la photo allait mourir d’ici 5 ans. Je ne suis juste pas d’accord du tout avec cette prophétie.
Le métier va forcément évoluer mais ce qui est sur, c’est que nous allons avoir besoin de plus en plus d’image dans ce monde sur-connecté.
Il est important pour tout photographe de toujours avoir l’envie d’évoluer. On a pu le voir avec l’arrivée du numérique. Bon nombre d’entre eux se sont arrêtés sur le coté de la route et ont dépéris. C’est normal, ils n’ont pas eu la force ou l’envie de passer le cap d’une nouvelle technologie. Ça nous arrivera surement dans les 10 – 20 ans qui arrivent. L’avènement d’une nouvelle façon de prendre des clichés, de les traiter … Il faudra savoir réagir et s’adapter. C’est l’évolution.
Si tu ne devais en choisir qu’un, quel conseil donnerais tu aux lecteurs du blog qui veulent faire de plus belles photos ?
Le meilleur conseil que je peux donner est aussi le plus difficile à comprendre : prenez du recul sur votre travail, sur votre vie.
C’est très difficile à comprendre car c’est un cap à passer. Avant ce cap notre cerveau résiste de toutes ses forces pour nous dire : « Oui ton travail est parfait » « Tes amis te disent que c’est bien donc c’est bien ». Il a peur de la somme de travail qu’impliquera le passage de ce cap. Mais c’est essentiel pour aller de l’avant et faire de vraies belles photos qui ont un sens.
Et lorsque vous avez l’impression de prendre du recul, ne vous arrêtez pas là. Prenez en encore plus de recul sur cette impression. Vous ne pourrez devenir meilleur photographe qu’en devenant une meilleure personne.
Une petite question « matos », qu’est ce que tu utilises comme appareils et optiques ?
Petite réponse alors ! Je suis en Canon 5d mkIII (et mkII) avec des focales fixes : 14 f2.8 / 24 f1.4 / 50 f1.4 / 135 f2.
On en est déjà à la saison 3 de « F/1.4 », qu’est ce qui nous attend pour la saison 4 ?
Curieux va !
Il y aura des changements pour la saison 4. J’ai étudié les bons et les mauvais cotés des épisodes déjà réalisés et je vais supprimer les bons pour ne garder que les mauvais. Ou peut être l’inverse, je ne suis pas encore sûr !
Je dois y réfléchir encore …
Les épisodes du dimanche seront plus courts, je vais tenter d’être moins bavard. Les interviews de la semaine seront toujours présentes. Il y aura un deuxième rendez vous vidéo et même peut être une autre chaîne ! Mais j’en dis déjà trop !
Quand photographie rime avec aventure, cela donne souvent de superbes images, et d’incroyables histoires. Un peu comme celle de Travis Burke, un jeune photographe américain, qui vit la plupart du temps dans son van aménagé et pensé pour la pratique de la photo de voyage. Spécialisé dans le milieu outdoor, Travis collabore avec de très grandes marques comme GoPro. Rencontre.
Destination Reportage : Quand et comment as tu commencé la photographie de voyage ?
Travis Burke : La première « étincelle » date d’il y a 6 ans, lors d’une randonnée avec mes parents sur le Pacific Crest Trail, dans le parc national du Yosemite. J’ai alors décidé de m’acheter un Nikon D300 afin de réaliser un carnet de voyage. Le fait d’utiliser un appareil photo m’a fait ralentir et apprécier davantage la beauté autour de moi. Lorsque je suis rentré chez moi, j’ai commencé à prendre des cours et participer à de nombreux workshops, afin d’apprendre les bases et d’assimiler un maximum de connaissances sur le sujet. Ensuite, j’ai travaillé comme assistant pour des photographes professionnels dans plusieurs domaines.
Comment devient-on « photographe d’aventures » comme toi ?
Je pense que pour commencer, il faut être vraiment passionné par ce que tu fais. Cette émotion qu’est la passion se ressentira toujours dans ton travail. Il faut aussi être capable de créer des images uniques afin d’apprendre à se surpasser. Ensuite, tout est une question de réseaux et de faire connaître son travail, le montrer. Être photographe d’aventures est une opportunité pour se faire plaisir et parcourir le monde, mais c’est aussi des sacrifices. Tu vois moins ta famille, tes amis, et être constamment sur les routes n’est pas aussi glamour que ce que pensent les gens.
Dans une vidéo, tu expliques que tu pratiques de nombreuses activités outdoors en plus de les photographier. Est ce important pour toi de « tester » ce que font tes sujets ?
Lorsque je rencontre des athlètes que je vais photographier, j’essaye de connaître et comprendre un maximum leurs sports. En pratiquant moi même ces sports, j’apprends les bases et je maximise mes chances d’obtenir de très bonnes photos. Et puis, j’adore dépasser mes limites.
Quel est le matériel que tu utilises pour tes reportages ?
J’utilise un Nikon D800 couplé à un 14-24mm, ainsi qu’une GoPro Hero 4 Silver Edition. J’ai également un 24-70mm à porté de main, un tripod, un intervallomètre, et plusieurs filtres.
Tu es également très présent sur Instagram, que penses tu de l’iphonographie ?
Cela a pris du temps avant que je me mette à Instagram et que je réalise l’intérêt d’y être. Mais cette application a permis à ma carrière de passer au niveau supérieur. Photographier avec son smartphone est génial ! Je pense que c’est le meilleur appareil photo à avoir constamment sur soi. J’utilise très régulièrement mon iPhone lors de mes voyages.
Une photo publiée par Travis Burke (@travisburkephotography) le
Quelle est ta vision de la photographie ?
J’espère vraiment être capable d’inspirer les gens et les pousser à sortir et explorer le monde. Pas besoin de planifier un voyage super élaboré pour profiter de superbes et uniques paysages. J’essaye de repousser continuellement mes limites créatives afin d’encourager les autres à faire de même.
Es tu confiant quant à l’avenir du métier de photographe ?
Oui. Je suis confiant quant à mes capacités à m’adapter dans l’optique de nouvelles opportunités. Je pense être suffisamment passionné pour que ça marche !
Aujourd’hui tu es sponsorisé par plusieurs marques. Est ce que c’est, selon toi, l’avenir des photographes professionnels d’être soutenus de cette façon ?
Je pense que le fait d’être sponsorisé fait une indéniable différence. C’est profitable pour les deux parties et cela permet de travailler en équipe afin d’avoir plus de visibilité.
Quels conseils donnerais tu à un jeune photographe qui se lance, ou tout simplement à un photographe amateur ?
La photographie est un milieu extrêmement compétitif. Il est très facile de se former en ligne et de commencer à être pro, mais c’est aussi très difficile de tenir la distance. Il faut être « flexible », continuer à apprendre tous les jours et surtout, prendre plaisir à photographier !
Confrère photographe de presse mais surtout ami, Balint est en ce moment au festival de Cannes, non pas pour monter les marches, mais pour tirer le portraits des gens qu’il rencontre. Ce génie du portrait Iphonographique, un genre finalement peu courant, est aujourd’hui l’un des photographes les plus suivis sur Instagram, où il cumule plus de 52 000 followers, rien que ça !
Destination Reportage : Comment se passe ta petite promenade sur la croisette ?
Balint Pörneczi : Bien, mais c’est très fatiguant, parce que je marche entre 10 et 20 km par jours pour faire les photos ! Ici, il y a de quoi « chasser » et il y a des portraits très intéressants à faire !
D’où est venu ce projet ?
L’idée a été lancée au cours d’une discussion avec mon ami Arnaud Brunet de Neus. Sa société d’édition m’aide en payant une partie de mes frais, notamment l’hôtel, avec comme objectif final de faire un livre sur mon travail. Concernant Cannes, l’objectif est de réaliser 7 portraits par jours, en hommage au 7ème art. Mais ce n’est pas facile !
Tu es devenu un maître du portrait sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram !
Depuis novembre 2013, date d’ouverture de mon compte Instagram, j’ai fais plus de 160 portraits. En une douzaine de jours à Cannes, j’en ai fait 84 ! C’est un autre rythme, car lorsque je suis chez moi à Rodez ou ailleurs, je ne me fixe pas vraiment d’objectifs de publication, parfois j’en fais un par semaine, parfois trois dans la même journée.
Comment est ce que tu en es arrivé à faire des photos avec un téléphone ?
Lorsque j’étais à Paris, je n’arrivais pas à développer un sujet personnel qui me faisait plaisir. J’ai acheté mon premier smartphone pour utiliser google maps et l’application « métro » à Paris et petit à petit j’ai commencé à faire une série au téléphone sur tumblr pour tenir au courant ma famille en Hongrie de ma vie quotidienne. Je n’ai pas débuté par Instagram, mais mon ami Benjamin Girette m’a convaincu d’y ouvrir un compte et faire des séries thématiques, d’où les portraits.
Et depuis tu as passé les 50 000 folowers ! Qu’est ce que ça fait d’être un photographe autant suivi ?
C’est chouette, mais ce n’est pas du tout ma priorité parce qu’au final ce n’est pas ça qui paye. Certes j’ai été démarché par des agences de webmarketing mais j’ai, à chaque fois, refusé leurs propositions de faire des photos ou mettre des hashtags pour des sommes qui me semble dérisoires, tout simplement parce que je n’en avais pas envie. Après, cela fait super plaisir de voir des commentaires très gentils sur mon travail, notamment lorsqu’on me compare à l’incroyable August Sander, ou quand le photographe du National Geographic, David Guttenfelder, commente des photos qui ne sont absolument pas au début de ma timeline Instagram, c’est extrêmement touchant !
Cela te permet également d’être récemment publié sur les comptes officiels de grands titres de presse comme les magazines « Polka », « Photo », ou le grand « New York Times » !
Oui, mais au final tout le monde demande l’exclusivité et propose des prix vraiment très bas… Je ne suis pas du genre à me plaindre ou à appeler les rédactions tous les quatre matin pour demander du boulot. C’est difficile pour tout le monde, mais par exemple, si malgré mon parcours ici à Cannes, j’espère juste pouvoir rentrer à Rodez sans perdre d’argent…
Dans cette série cannoise, on voit très peu de portraits de célébrités, pourquoi ?
Tout simplement parce que c’est la suite de mon projet « Figurak », qui consiste à prendre en photo n’importe qui, peu importe son rang social. Je mets tout le monde au même niveau. Ce n’est pas parce que je suis à Cannes que je vais me mettre à chasser toutes les stars. Ce n’est pas l’événement qui m’intéresse, mais les gens qui viennent à cet événement.
La photographie est un univers qui évolue au fil des innovations technologiques certes, mais avant tout, à travers les photographes, qui portent des regards originaux et en constantes évolutions sur la société. C’est le cas du photographe toulousain Ulrich Lebeuf, avec qui j’ai eu le plaisir de m’entretenir un long moment sur notre métier et ses évolutions.
Est ce que tu peux te présenter pour les lecteurs du blog ?
Ulrich Lebeuf : Je suis photographe indépendant, membre de l’agence Myop, plutôt identifié dans la photographie documentaire puisque je travaille essentiellement pour la presse depuis plus de 15 ans. Presse magazine pendant des années, en international et autour des voyages. Beaucoup plus en France depuis les élections de 2012, où je m’intéresse de plus en plus aux questions de société. Et puis à côté de la presse je développe des projets plus personnels destinés à être exposés ou édités en livre.
Donc tu es aussi auteur photographe ?
Que ce soit dans la presse ou dans autre chose, je défends la démarche d’auteur. Je place un photographe au même titre qu’un écrivain. J’ai toujours défendu ma façon de photographier, ma manière de regarder, j’ai toujours assumé pleinement ma subjectivité. Par exemple, je refuse qu’on recadre mes photos. Ce n’est pas un caprice, c’est juste comme si on s’amuser à placer des virgules au milieu des phrases d’un écrivain…
D’où la création du collectif « Odessa » dont tu es à l’origine ?
Exactement. C’est dans cette démarche de liberté et de se donner les moyens de façon collective et surtout de défendre une photographie d’auteur, face aux grandes agences de l’époque que l’on a monté ce collectif.
Aujourd’hui tu es dans une autre structure, Myop, est ce la même chose ?
Myop c’est très particulier. C’est un peu un mix de pleine chose. Tu vas y retrouver des photographes de grandes agences, de Sigma, de l’AFP ; tu vas retrouver des photographes des grands collectifs, et des photographes de collectifs plus petits ; et puis tu vas retrouver des purs et durs indépendants. Myop c’est un peu tout ça. C’est un collectif dans le sens où il y a 15 membres, cooptés et acceptés par tous les photographes, qui décident donc de l’avenir de l’agence. Mais en même temps il y a un directeur qui est là pour trancher.
Est ce que tu te considères comme un photographe humaniste ?
Moi je suis un indépendant qui appartient à une famille photographique, qui est Myop. Je me considère comme un photographe tout court, je ne suis pas fan des étiquettes… Je suis un photographe qui évolue, qui n’a pas forcément les mêmes envies aujourd’hui que à mes débuts.
Est ce qu’il y a un lien entre ton amour pour le voyage et ton histoire avec la photographie ?
Mon histoire avec la photo n’a pas commencé avec le voyage, mais ça a été un prétexte pour le voyage. J’ai commencé la photographie, non pas pour l’amour de la photographie mais pour partir. Parce qu’en classe j’étais plus du genre à regarder par la fenêtre et je n’avais qu’une envie, c’était d’aller ailleurs ! J’ai toujours été extrêmement curieux et j’ai découvert que la photographie est un excellent prétexte pour s’inviter chez les gens, pour s’inviter là où on n’est pas invité. C’est seulement des années après, quand j’ai eu un peu moins de commandes, que j’ai commencé à me poser des questions et développer une approche plus personnelle des choses. C’était une deuxième étape de ma vie, il y a un peu moins d’une dizaine d’année.
Tu as énormément voyagé du fait de tes travaux pour la presse…
J’ai eu une chance inouïe ! Des magazines m’ont demandé de traverser l’Alaska et Madagascar pour raconter des histoires, de partir en Russie, tout ça en commande. Pendant très longtemps, j’ai vendu à des magazines des sujets de voyage où en gros je leur disais « je pars d’un point A, je vais à un point B, et je vous raconte ». L’histoire c’est celle qu’on découvre, c’est ça je journalisme ! Quand tu fais ça, tu risques de rencontrer des gens, tu risques de prendre le pouls d’un pays, tu risques de te perdre, et quand on se perd on découvre des choses. On découvre des choses sur soi-même et on découvre des choses de là où on est. Il faut se laisser porter.
Quelle est ta vision du photojournalisme ?
J’adore le métier de journaliste, de reporter. J’adore faire des images des hommes politiques, c’est mieux que le meilleur épisode des « Soprano », mais en même temps j’ai le sentiment de m’éloigner de plus en plus du reportage. J’ai l’impression que la presse papier est en train de courir après les chaînes d’infos en continu, ce qui est une bataille totalement perdue d’avance.
Et au lieu de courir, j’ai envie de dire, pourquoi ne pas ralentir et revenir à quelque chose de plus lent ? Je pense que les gens ne sont pas dupes. Ça fait des années que j’entends des rédacteurs en chef te dire, quand tu proposes un sujet, « ah oui mais non, c’est pas ce que veut le lecteur ».
Cette phrase elle est d’une stupidité sans nom, parce que s’ils savaient ce que veut le lecteur, ben les journaux se vendraient beaucoup mieux. Je pense que les lecteurs veulent une chose : qu’on leur raconte des histoires, à la première personne. C’est la première vocation de la presse.
On a oublié que notre métier c’est raconter la société, raconter des histoires. On est dans l’urgence, dans le consommable, mais ça ne marche plus. Il faut revenir à l’essentiel.
Tu fais parti des photographes qui ne vivent que de la presse, est ce qu’il t’arrive également de faire des workshops ?
Je fais des workshops mais ça représente une faible partie de mes revenus. Je fais ça parce que j’aime de plus en plus transmettre. J’encourage et je soutiens en ce moment, un groupe de photographe en Algérie et un à Dakar à ce regrouper sous la forme de collectif.
Au niveau du matériel, tu sembles inséparable de ton Leica M !
Leica c’est le meilleur stylo que j’ai trouvé pour écrire. Après, Leica c’est hors de prix, soyons raisonnable… c’est un luxe pour moi. J’ai un crédit de 5 ans sur mon matériel photo, et à côté de ça je n’ai pas changé de voiture depuis 12 ans… et elle est pourrie ! C’est un choix de vie. Je n’ai qu’un crédit dans la vie, c’est sur mon matériel photo.
Quel serait ton conseil pour un jeune photographe qui veut se lancer ?
On peut se nourrir des travaux des autres photographes, c’est évident. Mais je pense que dans le reportage en général, ce qui est important c’est la narration.
Je conseillerais aux photographes qui arrivent sur le marché de faire de la narration à la première personne. Car tout le monde est capable de faire de la photographie. Ma fille a 12 ans, elle fait des photos nettes, bien exposées avec le sujet au centre.
Donc pour faire la différence il faut faire de la photographie plus personnelle, qui sera identifiée, qu’on aura le droit de détester, mais aussi qu’on aura le droit d’aimer. Et pour apprendre à raconter des histoires, rien de mieux que le cinéma et la littérature.
Et pour un photographe amateur qui veut juste se faire plaisir en voyage ?
Je dirais qu’il faut bannir le téléobjectif, de n’utiliser qu’une focale fixe de 35mm pour être près des gens et donc les photographier, mais les rencontrer aussi. Ne pas garder cette posture de photographe qui observe les choses de loin.
Être dedans.
Quand on s’intéresse au gens, ces derniers sont très heureux, et ils donnent plein de chose. Par ailleurs, la focale fixe nous oblige à chercher. Et quand on cherche, on risque de trouver.
Lynsey Addario est une photojournaliste de 41 ans qui a connu la plupart des conflits du 21e siècle. Elle a couvert la guerre en Afghanistan, en Irak, au Darfour, au Congo, en Haïti, et en Libye (elle était d’ailleurs l’un des quatre journalistes du New York Times enlevés en Libye en 2011).
En plus de couvrir les guerres pour la presse, Lynsey est passionné par les droits de l’homme et la thématique du rôle des femmes dans les sociétés traditionnelles. La photographe vient de publier un nouveau livre sur sa vie et son travail, intitulé « It’s What I Do: A Photographer’s Life of Love and War ».
(Credit: Lynsey Addario/ Corbis Saba)
Dans ce livre, Lynsey retrace les 15 dernières années de sa vie de témoin de la guerre et ses conséquences les plus horribles. La photojournaliste a déjà donné un certain nombre d’interviews, autant de témoignages inspirants et importants. Voici un extrait publié par le Time.
« Tu as un super appareil photo, tu dois faire de belles photos ! » Si comme moi vous en avez assez d’entendre cette phrase, j’ai une solution à vous proposer, bien plus efficace que de vous énerver ou juste vous taper la tête contre le mur. Cette solution est accessible en quelques clics sur YouTube.
Il s’agit d’une petite émission de la web tv basée à Hong Kong « DigitalRev TV », nommée « Pro Photographer, Cheap Camera ». Comme son nom l’indique, elle met en scène des photographes professionnels, reconnus dans le monde entier, et des appareils photos complètement hors normes et d’une qualité plus que médiocre. Il en résulte néanmoins des photos incroyables et surtout une morale définitivement claire et inaliénable : ce n’est pas l’appareil photo qui fait la bonne photo, mais bien le regard et le talent du photographe.
Dernièrement, j’ai eu la chance et le plaisir d’interviewer le photographe Eric Bouvet, un grand nom du photojournalisme, ancien de l’agence Gamma, cinq fois lauréat du « World Press Photo » et également fascinant globe-trotter.
Cela fait plus de 30 ans que tu es photographe professionnel, pourquoi avoir choisi ce métier ?
Eric Bouvet : J’ai commencé la photographie comme amateur avant de véritablement en faire mon métier. Lorsque j’étais à l’école, j’étais bon en dessin, j’aimais bien l’histoire, l’aventure, ce qui se passait dans le monde… Je me suis toujours intéressé à l’image fixe. J’ai appris la photographie en autodidacte, en lisant des bouquins et à l’époque, le magazine « Photo Reporter ». Je rêvais en regardant les photos de ces photographes. Mon leitmotiv a rapidement été de rentrer à Gamma.
Tu intègres cette prestigieuse agence à seulement 20 ans, comment cela s’est déroulé ?
En fait, je suis entré à Gamma par ce qu’on appelle la « petite porte », c’est à dire le labo. Tous les jours, j’arrivais à l’agence à 5h du matin pour plonger les films de tous les photographes en mission dans le monde entier ! Et puis ce qui était complètement incroyable, c’était d’avoir les clés de l’agence et de l’ouvrir tous les matins !
Oui. Cette période n’a pas duré longtemps, car on m’a rapidement donné ma chance et j’ai enfin pu « prendre les Boeings ». A l’époque, tu étais le « King » quand tu montais dans un 747 ! C’était tout simplement incroyable d’être parachuté à l’autre bout du monde, les gens te respectaient.
Aujourd’hui, on dit que le photojournalisme est un métier plus dangereux qu’avant, mais ce n’est pas vrai. Avant, tu partais seul, sans moyen de communication et pendant plusieurs semaines sans donner de nouvelles.
Avec le recul, je ne sais même pas comment j’ai fait pour me sortir de situations dingues.
Quel a été le reportage qui t’a le plus marqué ?
C’est sans doute la mort de la petite Omayra en 1985 lors de l’éruption du volcan Nevado del Ruiz en Colombie… J’ai fait 5 minutes de photos et je suis allé vomir… En rentrant, on m’a insulté, mais pourtant j’ai fait le choix de ne faire que du plan large, à l’inverse des autres…
Tu es ce que l’on appelle un « témoin de l’Histoire » car tu as vécu et photographié de grands événements marquants, quel regard portes tu sur ces dernières années ?
Aujourd’hui je suis réellement photographe car je commence à bosser plutôt bien. Avant je ne me rendais pas compte de la force de l’image.
Je ne suis pas heureux de ce que j’ai fait, par rapport à ce que j’ai donné physiquement et psychologiquement. Aujourd’hui je me sens plus mûr et j’ai des regrets de ne pas avoir eu ce regard plus tôt.
Que penses-tu de la jeune génération de photo-reporter ?
D’abord ces jeunes sont pour la plupart bien meilleurs que moi. Ils sont arrivés avec internet et le numérique et ont tout bouleversé. A la fois ils me bouffent et en même temps me nourrissent. C’est grâce à eux en partie que j’évolue. Ils sont plus mûrs que moi à mon époque, car ils sont mieux informés. Il y avait moins d’images à l’époque.
Quand tu commences ce métier, tu regardes ce qui a été fait, tu te nourris des images des autres et ton oeil les critique, les analyse, les digère, et tu te dis, c’est ça que j’aime ou que je n’aime pas. Et puis, la photographie, c’est des modes. On ne photographie pas de la même façon dans les années 80 qu’aujourd’hui, et c’est tant mieux. Les tendances évoluent également dans les magazines.
Justement, est ce que tu penses que les magazines de grand reportage et de voyage ont perdu de l’intérêt du fait de la démocratisation de la photographie ?
Les gens continuent à lire des magazines comme « Géo » ou « 6 mois » parce que c’est bien fait. Mais force est de constater que les gens ne profitent plus du moment.
Il n’y a qu’à observer un concert : tout le monde à son téléphone en l’air ! Ou dans un car de touristes, il y a des photos dans tous les sens.
Nous sommes inondés d’images, notamment sur Facebook, c’est à vomir ! Tout le monde à besoin de montrer qu’il est là avec ses photos…
Quel est le problème ? La technologie ?
C’est bien la technologie, c’est formidable de ramener des souvenirs, mais ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi.
Le numérique c’est le gratuit, c’est le consumérisme, c’est appuyer sur un bouton, encore et encore. Mon leitmotiv, c’est de n’appuyer qu’une fois, parce que je n’ai pas envie de perdre du temps sur l’ordinateur. Cela ne m’intéresse pas de tourner autour de mon sujet.
Quels conseils donnerais tu au voyageur qui veut prendre de meilleures photos ?
Ne pas s’embêter avec le matériel ! Prenez un appareil léger pour prendre de petites images pour le plaisir. L’objectif ne doit pas être de chercher à refaire une carte postale et de ramener des kilomètres de trucs mal faits.
Et puis, ce n’est pas parce qu’il ne fait pas beau que le souvenir va être mauvais. J’ai fait mes meilleures photos par mauvais temps.
Mais le plus important, c’est de respecter la lumière. A cause des logiciels comme Photoshop, les gens déclenchent en pensant qu’ils vont retravailler leurs images, ce qui donne des choses mauvaises, sans contraste…
Tu donnes des cours de photographie à travers des « workshop », peux tu nous en parler ?
Je donne des conseils à des groupes de 6 à 12 personnes en fonction des lieux. Il n’y a pas de niveaux demandés, d’ailleurs je trouve cela absurde car comment peut-on se donner une note soi-même ? L’essentiel c’est le partage et la découverte.
A ce jour, j’ai eu plus de 600 stagiaires. Cela coûte 185 euros la journée à Paris pour les sessions de groupe et 350 euros en session individuelle. Je suis très content de pouvoir partager mon expérience, même si cela fait que je fais de moins en moins de prises de vue.
Certains pensent que tu es un privilégié du fait de ta carrière et de ta reconnaissance dans un univers de la presse en crise…
C’est difficile pour tout le monde et ce n’est pas parce que je connais les rédacteurs photos des magazines que je travaille plus que les autres ! J’ai deux enfants en fac, un loyer à payer et un frigo à remplir.
Aujourd’hui je ne peux plus bouger le petit doigt, il n’y a plus de garanties pour les reportages, je reste chez moi et je regarde les autres partir…
Il me faut donc me motiver et trouver des sujets différents. Faire autre chose… Mais c’est comme dans tous les métiers, on pousse les vieux dehors…
C’est à la fois compréhensible mais difficile à accepter. Surtout quand les rédacteurs photos te disent qu’ils te font plus confiance car je suis toujours rentré avec une histoire et que je sais raconter. Quand on est jeune on a moins d’expérience pour le récit, c’est normal. Même chose pour l’éditing, ça s’apprend avec les années.
Tu as quand même reçu de nombreux prix prestigieux, comme par exemple le World Press Photo ou le Visa d’Or pour ne citer que ces deux…
Je n’ai jamais couru après les prix, mais j’aurais pu en avoir plein d’autres. Je suis super content lorsque j’en reçois un, mais ce n’est pas ça qui va me donner du travail… Peut être que pour un jeune c’est différent, car ça va le propulser.
Pour moi la liberté est le plus important. Je peux me promener partout avec mes deux petits boîtiers, je n’ai presque pas besoin de sac, c’est l’idéal ! Cela me permet de faire des images qui me conviennent.
Je n’utilise quasiment qu’un 35mm et un 50mm pour ne pas détruire la scène que je photographie. Cela me permet de vivre ce que je photographie, je suis avec les gens, je vis avec eux.
Est ce que tu fais partie des photographes professionnels qui utilisent leur smartphone pour photographier ?
Très rarement. Je l’utilise pour me souvenir d’un truc ou pour mettre une bricole sur Facebook. La focale de l’appareil photo d’un téléphone ne me correspond pas. Il y a des gens qui pensent être des artistes grâce aux applications comme « Hispamatic », mais je les mets au défi de faire les mêmes images sans le filtre.
Tout le monde ne peut pas être photographe, construire une histoire, savoir regarder, tout simplement. Moi je ne suis pas architecte, ni médecin, ni comptable, ni plombier, ni aucun autre métier, je suis photographe.