Ulrich Lebeuf : “On a oublié que notre métier c’est raconter la société, raconter des histoires “ - Destination Reportage

Ulrich Lebeuf : “On a oublié que notre métier c’est raconter la société, raconter des histoires “

La photographie est un univers qui évolue au fil des innovations technologiques certes, mais avant tout, à travers les photographes, qui portent des regards originaux et en constantes évolutions sur la société. C’est le cas du photographe toulousain Ulrich Lebeuf, avec qui j’ai eu le plaisir de m’entretenir un long moment sur notre métier et ses évolutions.

Est ce que tu peux te présenter pour les lecteurs du blog ?

Ulrich Lebeuf : Je suis photographe indépendant, membre de l’agence Myop, plutôt identifié dans la photographie documentaire puisque je travaille essentiellement pour la presse depuis plus de 15 ans. Presse magazine pendant des années, en international et autour des voyages. Beaucoup plus en France depuis les élections de 2012, où je m’intéresse de plus en plus aux questions de société. Et puis à côté de la presse je développe des projets plus personnels destinés à être exposés ou édités en livre.

Donc tu es aussi auteur photographe ?

Que ce soit dans la presse ou dans autre chose, je défends la démarche d’auteur. Je place un photographe au même titre qu’un écrivain. J’ai toujours défendu ma façon de photographier, ma manière de regarder, j’ai toujours assumé pleinement ma subjectivité. Par exemple, je refuse qu’on recadre mes photos. Ce n’est pas un caprice, c’est juste comme si on s’amuser à placer des virgules au milieu des phrases d’un écrivain…

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D’où la création du collectif « Odessa » dont tu es à l’origine ?

Exactement. C’est dans cette démarche de liberté et de se donner les moyens de façon collective et surtout de défendre une photographie d’auteur, face aux grandes agences de l’époque que l’on a monté ce collectif.

Aujourd’hui tu es dans une autre structure, Myop, est ce la même chose ?

Myop c’est très particulier. C’est un peu un mix de pleine chose. Tu vas y retrouver des photographes de grandes agences, de Sigma, de l’AFP ; tu vas retrouver des photographes des grands collectifs, et des photographes de collectifs plus petits ; et puis tu vas retrouver des purs et durs indépendants. Myop c’est un peu tout ça. C’est un collectif dans le sens où il y a 15 membres, cooptés et acceptés par tous les photographes, qui décident donc de l’avenir de l’agence. Mais en même temps il y a un directeur qui est là pour trancher.

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Est ce que tu te considères comme un photographe humaniste ?

Moi je suis un indépendant qui appartient à une famille photographique, qui est Myop. Je me considère comme un photographe tout court, je ne suis pas fan des étiquettes… Je suis un photographe qui évolue, qui n’a pas forcément les mêmes envies aujourd’hui que à mes débuts.

Est ce qu’il y a un lien entre ton amour pour le voyage et ton histoire avec la photographie ?

Mon histoire avec la photo n’a pas commencé avec le voyage, mais ça a été un prétexte pour le voyage. J’ai commencé la photographie, non pas pour l’amour de la photographie mais pour partir. Parce qu’en classe j’étais plus du genre à regarder par la fenêtre et je n’avais qu’une envie, c’était d’aller ailleurs ! J’ai toujours été extrêmement curieux et j’ai découvert que la photographie est un excellent prétexte pour s’inviter chez les gens, pour s’inviter là où on n’est pas invité. C’est seulement des années après, quand j’ai eu un peu moins de commandes, que j’ai commencé à me poser des questions et développer une approche plus personnelle des choses. C’était une deuxième étape de ma vie, il y a un peu moins d’une dizaine d’année.

Tu as énormément voyagé du fait de tes travaux pour la presse…

J’ai eu une chance inouïe ! Des magazines m’ont demandé de traverser l’Alaska et Madagascar pour raconter des histoires, de partir en Russie, tout ça en commande. Pendant très longtemps, j’ai vendu à des magazines des sujets de voyage où en gros je leur disais « je pars d’un point A, je vais à un point B, et je vous raconte ». L’histoire c’est celle qu’on découvre, c’est ça je journalisme ! Quand tu fais ça, tu risques de rencontrer des gens, tu risques de prendre le pouls d’un pays, tu risques de te perdre, et quand on se perd on découvre des choses. On découvre des choses sur soi-même et on découvre des choses de là où on est. Il faut se laisser porter.

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Quelle est ta vision du photojournalisme ?

J’adore le métier de journaliste, de reporter. J’adore faire des images des hommes politiques, c’est mieux que le meilleur épisode des « Soprano », mais en même temps j’ai le sentiment de m’éloigner de plus en plus du reportage. J’ai l’impression que la presse papier est en train de courir après les chaînes d’infos en continu, ce qui est une bataille totalement perdue d’avance.

Et au lieu de courir, j’ai envie de dire, pourquoi ne pas ralentir et revenir à quelque chose de plus lent ? Je pense que les gens ne sont pas dupes. Ça fait des années que j’entends des rédacteurs en chef te dire, quand tu proposes un sujet, « ah oui mais non, c’est pas ce que veut le lecteur ».

Cette phrase elle est d’une stupidité sans nom, parce que s’ils savaient ce que veut le lecteur, ben les journaux se vendraient beaucoup mieux. Je pense que les lecteurs veulent une chose : qu’on leur raconte des histoires, à la première personne. C’est la première vocation de la presse.

On a oublié que notre métier c’est raconter la société, raconter des histoires. On est dans l’urgence, dans le consommable, mais ça ne marche plus. Il faut revenir à l’essentiel.

Tu fais parti des photographes qui ne vivent que de la presse, est ce qu’il t’arrive également de faire des workshops ?

Je fais des workshops mais ça représente une faible partie de mes revenus. Je fais ça parce que j’aime de plus en plus transmettre. J’encourage et je soutiens en ce moment, un groupe de photographe en Algérie et un à Dakar à ce regrouper sous la forme de collectif.

535359_3937261475151_938298200_nCrédit photo : Fred Lancelot 

Au niveau du matériel, tu sembles inséparable de ton Leica M !

Leica c’est le meilleur stylo que j’ai trouvé pour écrire. Après, Leica c’est hors de prix, soyons raisonnable… c’est un luxe pour moi. J’ai un crédit de 5 ans sur mon matériel photo, et à côté de ça je n’ai pas changé de voiture depuis 12 ans… et elle est pourrie ! C’est un choix de vie. Je n’ai qu’un crédit dans la vie, c’est sur mon matériel photo.

Quel serait ton conseil pour un jeune photographe qui veut se lancer ?

On peut se nourrir des travaux des autres photographes, c’est évident. Mais je pense que dans le reportage en général, ce qui est important c’est la narration.

Je conseillerais aux photographes qui arrivent sur le marché de faire de la narration à la première personne. Car tout le monde est capable de faire de la photographie. Ma fille a 12 ans, elle fait des photos nettes, bien exposées avec le sujet au centre.

Donc pour faire la différence il faut faire de la photographie plus personnelle, qui sera identifiée, qu’on aura le droit de détester, mais aussi qu’on aura le droit d’aimer. Et pour apprendre à raconter des histoires, rien de mieux que le cinéma et la littérature.

Et pour un photographe amateur qui veut juste se faire plaisir en voyage ?

Je dirais qu’il faut bannir le téléobjectif, de n’utiliser qu’une focale fixe de 35mm pour être près des gens et donc les photographier, mais les rencontrer aussi. Ne pas garder cette posture de photographe qui observe les choses de loin.

Être dedans.

Quand on s’intéresse au gens, ces derniers sont très heureux, et ils donnent plein de chose. Par ailleurs, la focale fixe nous oblige à chercher. Et quand on cherche, on risque de trouver.

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Pour en savoir plus sur le photographe et son travail : www.ulrichlebeuf.fr

A noter également que Ulrich est le directeur artistique du festival photo toulousain MAP.

Crédits photos sans mention : Ulrich Lebeuf (sauf image de Une)
 



photographe professionnel
Fred
Photoreporter professionnel pour la presse magazine (Paris Match, VSD, le Figaro Magazine, le Pèlerin, Géo Ado, Stern, etc...)
3 commentaires
  • Mar 7,2017 at 1 h 24 min

    Bien sympa de voir que le métier continue, je pensais que les bytes l’avaient tué. J’ai commencé en 1967 avec le Rolleiflex du journal, et en 77 j’ai quitté Sygma. Ça fait pas mal d’histoires. J’en offre certaines sur /photos-non-retouchees.over-blog.com/ pour pas un rond.

  • Sep 15,2015 at 16 h 18 min

    […] Ulrich Lebeuf : “On a oublié que notre métier c’est raconter la société, raconter des histoires “ – Destination reportage […]

  • […] très importante et intéressante. Que pensez vous de ce festival ? J’y connais surtout Ulrich Lebeuf qui est chez « Myop », une agence que j’ai créé il y a 10 ans et que je […]

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